Une journée (en enfer) avec Mathias

C’est avec la nuque rasée, le tee-shirt moulant et le sac à dos ajusté que Mathias, négociant en chef de nos matières premières d’exception, débarque aux premières lueurs, chaque matin, dans la tour de contrôle du groupe PNY.

En temps de paix, Mathias est un homme calme et enjoué, distribuant boutades et quolibets à nos éleveurs, boulangers et fournisseurs, éternels enfants joueurs et dissipés.

Mais depuis quelques semaines Mathias a changé de look, de coiffure et d’humeur. Mélangeant subtilement les références vestimentaires au président Zelenski et à Bruce Willis, son regard a changé d’air. C’est que chaque matin, le quadruple espresso sans sucre qu’il avale d’un trait est le seul réconfort qu’apportera sa longue journée en enfer.

Les torpilles russes semblant menacer tout ce qui flotte, Mathias a dû cesser de compter sur les moyens maritimes pour approvisionner nos friteuses de luxe en huile de tournesol. Car il semble loin le temps pacifique où les marins solitaires s’échappaient de Marioupol, glissant hors du port, hors de la nuit sur leur tanker rempli d’huile, et laissant derrière eux sur le corps de l’amant(e) endormi(e) les traces de quelques baisers maladroits.

Alors Mathias traque inlassablement les quelques braves camions qui perforent le voile nuiteux, armés de maigres cargaisons qu’il négociera tel un dealer de kétamine sur un marché devenu presque noir.

Dans les champs d’Ukraine, le vent fouettant les terres abandonnées a remplacé le geste auguste du semeur et de la semeuse, et bientôt, les stocks seront épuisés. Le printemps estival français a asséché le jeune colza éliminant notre principal plan b. L’Indonésie, grand et surprenant exportateur, s’apprête à fermer ses frontières pour éviter une guerre civile.

Notre stock de chapelure asiatique, principal ingrédient de notre addictif burger Atomic, attend à Shanghai face au plus grand traffic jam naval de l’histoire des temps.

Traffic jam à Shanghai

Nos élevages de poulets fermiers sont abattus les uns après les autres pour éviter que la grippe aviaire ne se propage. La farine blanche atteint des sommets et se deal dorénavant comme on deal de la C.

Nous attendions avec une impatience heureuse la folle saison des tomates pour relancer un de nos bestseller, le Golden State of Mind. Mais nous ne trouvons plus de moutarde à l’ancienne. Une sécheresse sans précédent a réduit les stocks mondiaux et croquer une graine de moutarde est aussi improbable que d’apercevoir un dodo planant en famille au-dessus du lagon de l’île Maurice.

Nous n’avons pas fait Sciences Po et notre sens des priorités nous empêche d’être expert en géopolitique mais ne serait-ce pas un peu la m*rde ?

En tout cas vous pouvez compter sur Mathias (et Maïwenn qui vient de nous rejoindre avec un CV plus solide que le béton du Corbusier). Tant qu’ils seront là, vous aurez à manger, parce qu’ils sont trop forts. Pour le reste, nous restons imperturbablement optimistes. Car plus qu’en tout, nous croyons en l’Homme - et sa capacité infinie à se sortir de la merde après s’y être fourré.

Néanmoins, attendez-vous peut-être à quelques changements de recettes et peut-être de prix. Et sachez qu’on bosse dur dur dur en ce moment pour faire comme s’il ne se passait rien !